"Au Togo tout comme en Afghanistan, nos missions s'espacent, tout simplement parce que les chirurgiens locaux sont devenus autonomes."
LES OPÉRATIONS RÉUSSISSENT-ELLES À CHAQUE FOIS ?
À 100 % ! Un peu moins pour la récupération parfaite de la parole. La métamorphose est souvent stupéfiante et – luxe suprême ! – il arrive même que des parents minaudent sur tel ou tel choix plastique décidé par le chirurgien. L'enfant, lui, met un peu de temps pour comprendre que ses misères sont derrière lui. Il nous devra pourtant chaque éclat de rire !
MAIS UNE FOIS LE PATIENT GUÉRI, IL RENTRE CHEZ LUI ET VOUS REPARTEZ. C'EST DONC DU « ONE SHOT » ?
Mais c'est tout le contraire ! Dans un souci de développement durable, nous rendons les équipes locales autonomes, assurant au fur et à mesure le transfert de compétences. Une formation pratique et théorique est en fait rendue possible grâce au bénévolat de nombreux chirurgiens seniors.
POURQUOI « SENIORS » ?
Le système français force les chirurgiens à partir en retraite alors qu'ils sont pleinement… opérationnels ! Lorsque l'on a pour vocation d'aider les autres, c'est pour la vie !
On coupe ainsi les ailes de professionnels qui sont au zénith de leur expérience. Ici, nous donnons l'opportunité à ces retraités précoces de continuer à vivre leur vocation, sous forme de bénévolat, naturellement.
Mais il y a autre chose : certains pays occidentaux soutiennent des programmes qui semblent similaires. Mais en réalité, ils envoient de jeunes praticiens qui viennent se « faire la main », ce qu'ils ne pourraient pas faire chez eux où la loi les en empêche. Je n'insisterai pas sur les glissements et les dangers d'une telle politique...
Pour être clair, nous offrons à ces patients le meilleur de la pratique occidentale qui, à ce jour, élimine toute trace de la malformation.
MAIS LE GESTE DES SENIORS EST-IL AUSSI SÛR ?
La précision est le fruit de la connaissance et surtout de l'expérience. Récemment en Ukraine, un jeune interne faisait en aparté une remarque sur mon âge. Mon collègue ukrainien lui a aussitôt remonté les bretelles : « Il pourrait circoncire une mouche ; toi, tu n'es pas près d'y parvenir ! ».
RÉSULTAT DE CETTE POLITIQUE « DURABLE » ?
Au Togo tout comme en Afghanistan, nos missions s'espacent, tout simplement parce que les chirurgiens locaux sont devenus autonomes.
DANS QUEL CADRE ADMINISTRATIF S'INTÈGRE CETTE FORMATION ?
Dans le cadre universitaire du pays concerné. Sont essentiellement concernés les jeunes diplômés de pédiatrie, de chirurgie pédiatrique et de chirurgie maxillo-faciale, sachant que la formation d'un chirurgien s'étale sur trois à cinq années de pratique.
Par ailleurs, la présence d'un médecin anesthésiste lors des missions est mise à profit pour compléter la formation théorique et pratique de médecins et infirmiers/infirmières anesthésistes locaux aux problèmes spécifiques de la chirurgie plastique maxillo-faciale pédiatrique.
QUELS SONT ACTUELLEMENT LES PAYS CONCERNÉS ?
La mise en place d'un tel programme prend évidemment du temps (il y a loin de la coupe aux lèvres !). Nos plus récentes missions comprennent l'Afghanistan, le Togo et l'Éthiopie. En Afghanistan, le programme « Les Sourires de l'Espoir » a été créé en 2007 à l'hôpital français de Kaboul – la Chaîne de l'Espoir avait, au préalable, équipé l'hôpital des instruments spécifiques.
À ce jour, six missions y ont été réalisées. Elles ont permis d'opérer 300 enfants et de former un chirurgien afghan. Nous avons aussi traité 700 patients pour d'autres pathologies (brûlures ou chirurgie plastique courante). Depuis 2008, ce chirurgien procède seul aux interventions, hormis les cas les plus difficiles.
Nous sommes aussi présents depuis 2008 au Togo, où 160 enfants ont bénéficié d'une opération. Le recrutement des patients y est effectué par la Chaîne de l'Espoir Togo. Les opérations y sont réalisées dans la clinique Martin Luther King dirigée par le Dr Yenke, médecin référent depuis plusieurs années.
Déjà, trois maîtres-assistants du CHU de Lomé ont commencé à intervenir seuls, sous le contrôle du chirurgien. Certaines interventions chirurgicales sont d'ailleurs enregistrées et diffusées sur le réseau Campus Numérique, l'université virtuelle francophone (à l'attention des universités de médecine qui en font partie).
Nous opérons également en Éthiopie depuis 2010, grâce à une équipe médico-chirurgicale belge dirigée par le Pr Romain Vanwijck, chirurgien à la clinique universitaire Saint-Luc à Bruxelles. Deux missions y sont réalisées chaque année.
LA GÉNÉROSITÉ EST-ELLE UNE MALADIE HÉRÉDITAIRE ?
Dans mon cas, oui. J'appartiens à une très longue lignée de praticiens où la charité était de mise. Chez les nécessiteux, mon grand-père, urologue à Versailles, ne manquait pas de laisser une obole au cours de sa visite pour permettre de payer les médicaments. Lorsque j'avais sept ans, un patient de mon père, ophtalmologue à Saint-Quentin, m'a dit en pleurant que j'étais sa première vision depuis vingt ans (suite à l'une des premières opérations de la cataracte réalisée à l'époque).
Mais j'observe, Dieu merci, que beaucoup de jeunes manifestent spontanément cette disposition particulière qui consiste à vouloir participer au bonheur des autres. C'est leur seule notion d'enrichissement personnel !